- Alors, cette route, on se la fait Shafiko ?
- Oulala, c’est l’enfer celle-là !!!
C’est en ces termes peu aguichants que notre pilote number one me vante les mérites de la fameuse « route » entre Eringeti et Boga (60 km) que nous souhaitons réhabiliter dans le cadre de notre projet programme en cours. Cette route c’est la 66 du Congo, mythique. Et le Shafiko c’est pas une endive, avant il était Kumba-Kumba (transporteur à vélo) et pouvait s’enquiller plus de 400 bornes avec 120 kg de chargement sur des pistes cauchemardesques.
- La dernière fois, en moto, on a mis 12 heures pour faire 20 km ! Fini-t-il de m’achever.
Ok, c’est décidé, on se la fera… à pieds ! Tout du moins jusqu’à Kaynama, soit près de 40 km. Le but est d’évaluer les principales difficultés (ponts, passages busés, remblais…) afin de valider ce nouveau tracé, qui passe au sud du projet original encore infréquentable car truffé de miliciens irréductibles.
Vient donc le jour du grand départ, mercredi 1er novembre 2006. Shafiko et Augustin m’escortent, avec eux je suis tranquille. Arrivés à Eringeti, à 80 km au sud de notre base de Komanda, nous prenons nos sacs à dos et l’embranchement de la fameuse route… ou tout du moins de ce qu’il en reste. A peine quelques centaines de mètres avalés et je béni le ciel d’être venu à pattes : un arbre XXL fait rempart de son corps et nous barre le passage.
Très vite nous faisons de nombreuses rencontres. Beaucoup de gens reviennent du marché d’Eringeti où ils sont allés vendre leurs récoltes pour se payer quelques produits de première nécessité (savon, huile, pétrole…). Certains boiront une partie de leur butin sur le chemin du retour en échange de quelques rasades d’alcool local, du vitriol, du genre à rendre aveugle. « Ca fait marcher plus vite » m’assure un gaillard. Pas sûr… Pour moi c’est une expédition, un périple, une aventure. Pour eux c’est simplement jour de marché. Mais est-ce qu’ils feraient les malins les pygmées pour une correspondance à Saint-Lazare un lundi matin, hein ? Un peu plus loin nous franchissons une petite rivière « élargie par les chercheurs d’or » m’assure Augustin. Au premier coup d’œil ils ont gratté, c’est sur. Et un premier pont, un !
Le long de cette « route » pas comme les autres, nous croisons toutes sortes de personnages sortis de la forêt comme d’un livre de fables africaines : chercheurs d’or, chasseurs (des pygmées pour la plupart), exploitants forestiers, vendeurs ambulants, militaires… et voilà même Monsieur Norbert !
Monsieur Norbert est parti de chez lui vendredi dernier pour aller voter dimanche. 5 jours de marche pour participer aux premières élections présidentielles depuis 40 ans, qui ose encore dire qu’elle n’est pas « Démocratique » la République du Congo ?!
Nous progressons dans la djeungueule, y’a pas des masses de touristes. A la vue du Muzungu (le « blanc »), beaucoup écarquillent des yeux ronds comme des billes, certains rigolent, d’autres se cachent, mais presque tous me glissent un mot de bienvenue ou d’encouragement. Je ne décrypte pas tout, mais une chose est sûre : cette route, ils la veulent… et je les comprends ! A 16 heures 30 nous décidons de jeter l’ancre, sur les rotules. Nous passerons la nuit dans une hutte au confort pour le moins spartiate mais qui, vu l’environnement, semblerait presque luxueuse. La famille d’accueil - originaire de la ville de Béni et réfugiée en forêt depuis plus de 3 ans - nous reçoit comme des princes : eau chaude, sommier de feuilles et le fameux « fufu » (prononcez « fou-fou »), pâte de manioc dont les Congolais raffolent. En échange nous offrons nos modestes victuailles dont des boîtes de sardines, des Marocaines. Autant dire qu’elles ne s’attendaient pas à venir s’échouer au milieu de la forêt équatoriale, serrées dans une boîte. L’instant me semble opportun pour dégainer mon brutal à moi, une bouteille d’eau minérale contenant un gros fond d’Irlandais de derrière les fagots qui titre 43%. De quoi faire oublier la fatigue. L’hôte et son ami me font comprendre que ça brûle le ventre, je rigole.
Coucher à 20 heures 30. Une petite appréhension me passe par la tête, pas évident de se retrouver « au cœur des ténèbres » et d’entendre ronfler la forêt dans vos oreilles. Il me faudra 8 bonnes minutes pour m’endormir.
A 6 heurs 30 et après une bonne rasade d’eau, de la vraie cette fois, nous reprenons la route. Au même moment déboulent trois types exténués, ils poussent une moto depuis la veille au matin, nous les avions croisés au départ… Les pôôôvres…
Nos hôtes portent nos sacs pendant un bon kilomètre, une coutume que j’apprécie sans sourciller. J’ai les jambes en plomb. Chaque pas me coûte, la route me colle à la peau et je n’arrive pas à m’en défaire.
Les rencontres se succèdent, la fatigue s’accumule, une dernière réunion à Kuka où nous étions attendus par les autorités locales. En Afrique, l’information circule plus vite que les ondes radios, je n’ai jamais compris comment. Vers 11 heures, c’est la délivrance. Nous arrivons à Kaynama… enfin, presque, un petit coup de fil (satellite) et on nous confirme que la voiture nous attend un petit kilomètre en amont, de l’autre côté d’un petit ruisseau. Un dernier coup de collier et nous y sommes.
Plus de doute possible, elle va faire du bien cette route…
Par Boris Varnitzky, Chef de Mission RDC Ituri
Les objectifs de notre projet en Ituri
Date d’intervention : 01/05/06 au 31/03/07
Objectif spécifique :
L’objectif spécifique consiste à améliorer la situation alimentaire de 6.500 familles affectées par les derniers conflits, vivant dans les territoires de Irumu et de Mambasa, à travers des activités de réhabilitation de routes en « cash for work » et de distribution de semences et d’outils aux familles des enfants mal nourris.
Objectifs secondaires :
Les objectifs secondaires consistent à :
Améliorer les conditions sanitaires grâce à un apport suffisant et équilibré de nourriture ;
Diminuer la malnutrition pendant les périodes de soudure ;
Revitaliser le flux des échanges commerciaux ;
Désenclaver Boga et améliorer l’économie locale ;
Diminuer progressivement l’économie de troc.
La route à réhabiliter et initialement envisagée (zone Idohu – Zunguluka, axe Boga – Tshabi – Zungunluka) est toujours fréquentée par les miliciens du Force de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI) et personne n'est à ce jour revenu dans les villages le long de cet axe. Le nouveau tracé retenu (cf carte), nous permet d’atteindre les mêmes objectifs. La distance reste exactement la même, soit 60km, et permet également de rejoindre la Nationale 4, 35km plus au sud que sur le tracé précédent.
Hum,
Les routes du Congo et de l'Ituri... Belle et grande aventure!
Bon courage à vous tous à l'heure de drainer ces bourbiers...et autres réjouissances si réjouissantes, qui font de ces programmes de malades... un defi à la hauteur de ce que PU peut faire de grand dans l'humanitaire au Congo.
Merci à toi Boris de partager çela avec tes petits camarades des montagnes et des djebels... ça donnerait presque envie, ta route là ! Ha oui vraiment, surtout le truc à 43° meme si de mon coté, je serais plutot du genre 45° avec des notes fruitées façon prune jaune du Nordeste, Mon coté brésilien, à n'en pas douter!
Passe le bonjour de ma part aux italiens de Mambasa si tu passes par là bas et hommage sincère vers ce petit homme Bira qui est parti un peu précipitement et contre son gré vers d'autres cieux moins encombrés...
Amitiés pour tous ceux qui continuent à croire à ce que vous faites et qui t'accompagnent.
Alban
Rédigé par : le Z | 24 novembre 2006 à 22:53
Ben mon colon !! Faut le faire ton job Boris ! Mais c est pas plus con que prendre le RER a la Gare du Nord le soir pour rentrer a la maison! Ce que je n ai jamais fait Dieu merci ! Par contre pousser une moto pendant des kilometres sur l autoroute en pleine nuit, je connais ! Gros bisous et bonne continuation.
Rédigé par : mimi | 17 novembre 2006 à 18:43